SQO
 
2022

Récit professionnel de Mme Nathalie Ross, conseillère d’orientation, psychothérapeute et superviseure clinique

2022 | 2024-04-26
SQO - semaine québécoise de l'orientation

Nathalie Ross, c.o., psychothérapeute et superviseure clinique

Entrevue menée par Maxime Dumais, c.o., coconcepteur de la section Portraits de c.o.
Rédaction par Sagine Jean-Paul, adjointe aux communications et au développement des compétences, OCCOQ

Nathalie Ross est conseillère d’orientation depuis plus de 20 ans. Elle exerce la psychothérapie en pratique privée depuis une dizaine  d’années et agit à titre de superviseure clinique pour des équipes de c.o. dans des organismes offrant des services d’employabilité et de psychothérapie. Elle travaille dans le cadre théorique de la perspective ACT  (Acceptance and Commitment Therapy), des schémas de Young et, principalement, de la perspective psychogénétique de l’identité. 

Également conférencière et autrice, elle est aussi présidente du CA de l’Institut de recherche fondamentale et clinique en psycho-orientation (IRFCPO). Nous l’avons rencontrée pour en savoir plus sur son parcours.

Comme pour beaucoup de c.o., le chemin de Nathalie Ross vers l’orientation se fait par ricochet. Rien ne l’y prédestinait. Guidée par le désir de devenir traductrice, parce que l’écriture était la « compétence dans ses cordes », elle envisage de s’inscrire en communication à l’université. Quand le conseiller d’orientation qu’elle rencontre lui répond que cette formation est contingentée, qu’elle n’a rien de particulier pour que sa candidature soit retenue et qu’il vaut mieux qu’elle passe à autre chose, elle s’inscrit au baccalauréat en ISEP (information scolaire et professionnelle) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Dans ce programme, il y avait un peu de tout, se rappelle-t-elle. Un peu d’éducation, un peu d’administration, un peu de psychologie… » 

Nathalie y rencontre une équipe d’étudiants et d’étudiantes extraordinaires. Les cours sont intéressants, les professeurs stimulants, mais à aucun moment elle n’envisage que ces études la mèneront à la profession de conseillère d’orientation. Jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de Luc Bégin, professeur à l’UQAM : « Il a eu une influence vraiment marquante sur ma vie professionnelle. » Elle plonge dans ses souvenirs avec émotion : « Je me souviens de son premier cours. J’avais 19 ans. C’était mon premier cours à l’université, je n’ai littéralement rien compris. C’était tout un cerveau, Luc ! » Après le baccalauréat, elle décide alors de s’inscrire à la maîtrise. À l’époque, il fallait avoir deux ans d’expérience professionnelle pour le faire. Nathalie Ross commence alors sa carrière de c.o. avec la clientèle jeunesse chez FILON 16-24, qui devient par la suite CODEM. FILON 16-24 aidait les jeunes entre 16 et 24 ans qui étaient le plus à risque d’itinérance et de décrochage scolaire, à se raccrocher au marché du travail. 

Nathalie travaille encore chez CODEM, qui offre des  services d’orientation, d’accompagnement, dans ses bureaux. La clientèle qui fréquente cet organisme est passée de multiclientèle à clientèle universelle : personnes issues de l’immigration, jeunes, adultes scolarisés et moins scolarisés. 

Aujourd’hui encore, elle se rend compte que ce sont souvent nos intérêts personnels qui nous orientent vers une profession — celle-ci est rarement identif iée en premier lieu « parce qu’il y a plus d’une façon de s’orienter, car trouver son métier n’est pas toujours quelque chose qui se passe de manière linéaire ». Il faut se permettre de naviguer là-dessus, d’oser tomber et se relever. Certaines personnes savent, dès leur plus jeune âge, quelle est la profession souhaitée, telle une mission de vie — enseignant, travailleur social, pompier —, mais, pour la grande majorité des gens, ce n’est pas le cas. C’est sa passion pour la communication qui a conduit Nathalie vers la profession de conseillère d’orientation, où elle satisfait ses différents centres d’intérêt : écriture d’articles, présentation d’ateliers, écoute des autres. 

Au fil du temps et des années d’expérience, Nathalie aime de plus en plus la profession de c.o. Sa pratique reflète ses propres couleurs comme personne intervenante : « Je trouve que c’est un message important à transmettre à nos clients et clientes, à nos pairs. Les gens cherchent tellement le coup de foudre, la magie, et s’attendent à trouver exactement, de manière immédiate leur X. Parfois, souvent, il faut le construire, ce X. » 

Au début des années 1980, Luc Bégin, c.o., psychologue, professeur au Département d’éducation et pédagogie de l’UQAM, et superviseur clinique, informe ses étudiantes et étudiants d’une formation en psychothérapie et leur fait part d’une nouvelle théorie du développement de l’identité qu’il a développée, appelée la théorie psychogénétique de l’identité. 

Perspective psychogénétique de l’identité 

La perspective psychogénétique de l’identité aborde la quête de l’identité et du sens à la vie, qui conditionne à son tour la vie des personnes. Elle explore la façon dont la personne structure ses expériences et le sens qu’elle leur attribue, de même que l’influence sur sa manière de s’adapter aux différentes situations sur les plans personnel, social et professionnel. Cette théorie ouvre de nombreuses avenues sur la manière d’aborder les difficultés d’orientation et de vie, de même que l’intervention en relations humaines et en santé mentale. Elle s’accompagne d’un outil (ce n’est pas un test psychométrique) venant soutenir l’intervention, soit l’épreuve Groupements, qui est accessible, à la suite d’une formation, aux c.o. et aux intervenants en relation d’aide détenteurs de baccalauréats appropriés. Outre le Québec, l’épreuve Groupements a par ailleurs également été utilisée, autant sur le plan de la recherche que sur celui de l’intervention clinique, en Suisse, au Mexique, en France et en Argentine.

L’épreuve est un outil qui permet, littéralement, de comprendre la construction dans la tête de la personne, c’est-à-dire les différentes catégories de sens qui sont là, dans sa tête, et qui donnent lieu au traitement de l’information, à sa propre construction de la réalité. C’est une activité où la personne essaie de donner du sens à des phrases qui lui sont présentées et qu’elle doit  catégoriser : « C’est un outil des plus précieux et vraiment particulier qui parle des gens au-delà de leurs mots et qui permet de voir un peu ce qu’ils vivent. Qu’est-ce qui peut empêcher quiconque de passer à l’action, de prendre une décision ? Qu’est-ce qui fait vivre ou ressentir les choses de telle ou telle façon ? »

À l’IRFCPO, où l’on se consacre à la formation et au rayonnement de la perspective psychogénétique et de l’épreuve Groupements, Nathalie et son équipe de bénévoles dédiés et passionnés accompagnent les personnes intéressées à se former à cet outil de travail.

À l’époque, quand Luc Bégin leur en parle, Nathalie et plusieurs étudiants s’intéressent vivement à cette théorie et à la formation en psychothérapie. Le regard de Nathalie s’illumine à ce souvenir : « Je n’arrive même pas à me rappeler m’être dit que je voulais devenir psychothérapeute. Je pense que je le sentais. » La psychothérapie, une corde de plus à l’arc de ses interventions, lui donnait le sentiment de pouvoir aller encore plus profondément dans ce qui habite les personnes dans ce qu’il y a de plus personnel.

Le titre de psychothérapeute n’était pas encore protégé, chapeauté par l’Ordre des psychologues du Québec. Aucun ordre professionnel n’avait le monopole de la formation en psychothérapie. Pour devenir psychothérapeute, avant la loi 21, il fallait avoir une formation supplémentaire en dehors de la maîtrise. Cette formation représentait près d’une centaine d’heures théoriques où l’on apprenait la psychopathologie, la pharmacologie, le développement identitaire, les interventions, la posture de l’intervenant, entre autres. Lorsque l’Ordre des psychologues a obtenu le monopole de la reconnaissance du permis de psychothérapie, Nathalie a bénéficié d’une clause grand-père. Il fallait aussi accomplir près 70 h de supervision filmée. Ses rencontres étaient captées, puis revues et analysées avec Luc Bégin. « C’est comme ça que j’ai cheminé ! » conclut-elle. Elle se considère chanceuse d’avoir bénéficié de cette supervision et de s’être rompue à la perspective psychogénétique de l’identité, devenue une pièce centrale de ses interventions.

Nathalie reconnaît que le processus d’obtention du permis de psychothérapeute demande du courage et surtout de la motivation, tout particulièrement si l’on est personne salariée ou travailleur autonome à ce moment-là. Trouver les cours avec des heures de formation reconnues, faire les stages et les lectures, préparer le dossier à soumettre, c’est un peu comme un parcours du combattant. Sans compter que l’on doit souvent composer parfois avec une réalité familiale qui vient complexifier la démarche : « Je connais des personnes autour de moi qui ont fait toutes les heures de formation requises mais qui n’ont pas mené à bout leur processus d’accréditation. » Pour Nathalie, ce fut intense, mais « imaginer la grosse montagne est souvent pire que de simplement la gravir. Une fois que l’on a commencé, on réalise que ça va plus vite que l’on croyait. »

Il faut aussi souligner qu’à l’époque où Nathalie a suivi la formation en psychothérapie, ils étaient plusieurs étudiants et étudiantes à la suivre en même temps. Ils étaient tous et toutes enthousiastes, croyaient l’un en l’autre et s’encourageaient mutuellement. Ce fut une grande source de motivation pour elle : « Parfois c’est ce que cela prend aussi. Une petite équipe avec le même objectif, dont les membres s’encouragent, se soutiennent et s’épaulent. » Le soutien social dans ce genre d’expérience s’avère extrêmement important. Cela permet de normaliser et d’alléger le processus.

D’où l’importance, conseille Nathalie, de se poser des questions pertinentes avant de commencer une formation en psychothérapie : par exemple, est-ce vraiment ce que je veux faire ? « Ça peut être positif, stimulant et très excitant de s’inscrire à cette formation, mais, quand on fait de la psychothérapie, on sait que les gens ne consultent pas parce qu’ils vont bien. Il y a une souffrance à l’origine de la consultation. C’est un gros processus, donc il faut se poser des questions sur sa motivation réelle derrière le désir d’aider et d’accompagner. » Prendre le temps de se regarder avec sincérité reste fondamental, selon Nathalie. C’est une posture que doit avoir chaque c.o. à la base, mais elle devient plus évidente pour quiconque envisage de pratiquer la psychothérapie. Il faut se demander comment on arrive dans ce rôle.

La formation en psychothérapie donne, certes, des outils, permet d’acquérir des compétences, aide à se développer comme thérapeute et crée un bagage pour l’intervention. En revanche, la personne, dans son individualité, qui est-elle ? Est-elle une personne dont la vie est relativement stable ? Une personne qui a la possibilité d’offrir un espace sécurisant, de l’apaisement, une écoute, un accueil ? « Parce que, si votre vie est désordonnée, que vous avez beaucoup de défis personnels, cela peut être extrêmement confrontant avec la clientèle qui a des souffrances plus lourdes. »

Ce ne sont pas des empêchements à devenir psychothérapeute, rassure Nathalie, mais c’est une réflexion somme toute importante à avoir avec soi-même, en toute transparence, car, en recevant une lourde charge émotionnelle de personnes reçues en consultation, les psychothérapeutes ne peuvent pas aussi s’effondrer. Il est important de prendre soin de soi quand on effectue un travail en relation d’aide, et principalement de la psychothérapie. C’est la meilleure manière de prendre soin des autres.

Nathalie Ross conseille aussi d’y aller pas à pas. La formation, les stages, la supervision, tout cela peut sembler gros, mais, en y allant étape par étape, tout en sachant que ça peut prendre du temps, on y arrive.

En abordant la supervision clinique — autre chapeau que porte Nathalie —, son regard brille. Elle y croit, à la supervision. Elle sait que d’avoir été filmée durant ses rencontres de travail afin de pouvoir les regarder et les commenter avec son superviseur, de pouvoir analyser sa posture, ses interventions, a été d’une richesse inestimable : « Les gens n’aiment pas se faire filmer. Néanmoins, on progresse à pas de géant en se faisant f ilmer, et en se regardant après. » Elle se rappelle avoir eu des insomnies la veille de ses journées de supervision filmées, mais elle a fini par s’y habituer et comprend que cette pratique lui a vraiment permis de devenir la conseillère d’orientation et la psychothérapeute qu’elle est aujourd’hui.

Riche de l’apport de la supervision dans sa vie professionnelle, Nathalie se propose pour offrir du mentorat en individuel, aux c.o. qui travaillent chez CODEM, et ce, sur une base mensuelle. Le but étant de leur permettre de nommer leurs préoccupations professionnelles comme intervenant et intervenante. La pratique s’est instaurée avec succès et, aujourd’hui, la supervision clinique représente une réelle marque de commerce chez CODEM.

Nathalie voit dans la supervision une véritable source de développement professionnel et s’étonne que cette pratique soit si peu répandue. Elle nous confie se faire encore superviser. Toutes les professions qui impliquent des relations humaines devraient trouver de la place pour de la supervision clinique, laquelle fait une énorme différence dans le bien-être des personnes professionnelles, dans leur développement, dans l’appropriation de leur propre profession, dans leur autoapaisement. Il y a des personnes professionnelles qui vivent de l’anxiété, du stress. Avoir un espace où se poser et bénéficier d’un accueil dans son vécu est d’une grande richesse et d’un réel réconfort. La supervision clinique peut offrir ce lieu.

« La supervision nous permet de prendre un peu de recul. Elle nous permet de voir ce qui nous manque, nous permet de nous regarder, nous permet de partager. Elle nous permet de nous valider, de ventiler… » Elle se souvient de l’accompagnement sans faille de Luc Bégin durant les supervisions, qui lui ont permis de définir ses propres couleurs comme professionnelle. Elle pouvait lui écrire et lui poser de nombreuses questions, et il lui répondait avec une réelle ouverture et une grande générosité. Les débuts dans la profession ne sont pas toujours faciles : souvent beaucoup de questions émergent au moment de la confrontation de la théorie avec la réalité, ce qui parfois déboussole. Rencontrer une personne superviseure fournit l’occasion de se raccrocher à sa profession et d’en voir toute la beauté. « Je pourrais en parler longuement », sourit-elle. 

Aujourd’hui, Nathalie profite d’une pratique mixte bien établie de c.o. et de psychothérapeute qui lui permet d’aller à la rencontre d’une clientèle diversifiée autant dans le cadre de services gratuits en orientation chez CODEM que dans celui de services payants d’orientation et de psychothérapie en pratique privée. C’est cette pratique qui lui permet d’utiliser tout son bagage de connaissances en raison de sa formation en psychothérapie et de différents outils d’intervention en orientation afin d’aller plus loin dans ses accompagnements. Parfois, elle utilise, entre autres, le rêve pour apporter un éclairage, aidant ainsi la personne à voir plus clair sur un coin encore caché dans la pénombre. « On fait une construction de sens du rêve : de quoi ça nous parle ? est-ce qu’il y a des éléments récurrents ? qu’est-ce qui se passe présentement dans notre vie ?... » 

Certes, une personne qui fait une démarche en orientation n’en fait pas une en psychothérapie. Même si plusieurs personnes clientes avouent la choisir parce qu’elle est une c.o. avec un permis de psychothérapeute. Au début de la démarche, au moment de la première rencontre, il est important de bien clarifier le besoin initial de la personne cliente. Néanmoins, la pratique mixte de Nathalie lui offre une flexibilité si, en cours de démarche, le besoin venait à changer. Elle peut se permettre cette souplesse-là plus naturellement. Elle en profite pour rappeler aussi qu’il est de la responsabilité des c.o. de bien reconnaître les problématiques sur lesquelles on peut agir puis de diriger vers quelqu’un d’autre si cela dépasse leur champ de compétences. Certaines personnes clientes lui confient parfois avoir le sentiment que leur démarche sera plus complète parce qu’elle détient un permis de psychothérapie. Quand cela arrive, elle en profite pour replacer la vision que les gens ont de la profession de c.o., pour sortir d’un modèle un peu formaté du rôle de « l’orienteur ». Ce qui amène Nathalie à affirmer que la profession de c.o. est beaucoup mieux véhiculée depuis ces dernières années et à y reconnaître le travail accompli de l’Ordre en ce sens. Même si la mission de ce dernier reste la protection du public, elle entrevoit une nouvelle perception de la profession de c.o. sur le marché du travail et souhaite ardemment que cela continue en ce sens.

Elle souhaite également que les compagnies d’assurance reconnaissent la profession de c.o. au même titre que la psychologie, l’acupuncture ou l’ostéopathie. « Avec tout ce qu’on sait de la mouvance du marché du travail, des réorientations, ça devrait être davantage considéré. » La profession de c.o. se doit d’être reconnue pour ses valeurs ajoutées dans la vie d’une personne, de manière plus globale qu’uniquement sur le plan de l’orientation professionnelle. Que cela devienne une plus-value pour quiconque fait appel à un ou une c.o., et que les champs d’application dans lesquels ils interviennent soient mieux compris. Il y a encore du pain sur la planche mais il y a de l’espoir.  Dans ce même désir d’éveiller les gens à cette belle profession, Nathalie publie aussi des articles sur les problématiques propres à l’orientation : la difficulté de faire un choix, le manque de confiance, la procrastination, l’engagement. On y trouve des textes qui portent sur toutes sortes de thématiques liées au travail, à l’orientation. Ils peuvent être repris et diffusés sur plusieurs autres plateformes, ce qui permet de faire connaître davantage la profession au grand public. 

Tout au long de l’entrevue, la passion de Nathalie pour les différentes casquettes qu’elle porte s’avère évidente. Ce qu’elle vit professionnellement aujourd’hui, c’est la beauté de deux types d’intervention parfaitement combinés. «J’ai le meilleur des deux mondes», reconnaît- elle avec un sourire. 

Pour en savoir plus


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Maxime Dumais, c.o.,
coconcepteur, animateur et rédacteur bénévole
de la section Portraits de c.o.

SQO - semaine québécoise de l'orientation
Sagine Jean-Paul, adjointe aux
communications et au développement
des compétences, OCCOQ


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